Le mois dernier, j'ai pris de l'ayahuasca avec un chaman sur 2 nuits.
Voici mon témoignage sur l'ayahuasca, le yagé (la préparation) et la DMT (la molécule psychoactive)...
Depuis tout petit, j'ai voulu explorer mon cerveau, et en trouver les limites.
Quitte à vivre une seule vie, autant la vivre le mieux possible.
Pour moi, ça impliquait d'apprendre tout ce que je pouvais faire de mon cerveau.
Sans surprise, je me suis pris de passion pour la psychologie, l'introspection, le développement personnel, et...
Les psychédéliques.
Fin lycée, je tombe sur un article qui témoigne d'une expérience sous ayahuasca. Au tiers de l'article, ça y est, je me suis décidé :
Un jour je prendrai de l'ayahuasca avec un chaman...
8 ans plus tard, je l'ai fait.
Voici mon témoignage, et les leçons que j'en ai tirées.
Tu en découvriras également plus sur l'ayahuasca et la DMT, ses rites, ses effets, ses mystères.
Toutes mes sources sont à la fin de l'article.
Mon impression, c’est qu’alors que la conscience “quitte” le corps, la DMT pourrait servir d'intermédiaire et refléter ce qu’on vit quand on meurt. Ce qui se passe après, par contre, reste un mystère.
Rick Strassman
Tu veux aller plus vite ? Saute à la partie qui t'intéresse :
Tu ne sais pas ce qu'est l'ayahuasca ? Clique ici pour apprendre l'essentiel.
Tu veux connaître les effets de l'ayahuasca ? Clique ici pour voir la liste.
Tu veux lire mon témoignage sur l'ayahuasca ? Clique ici pour le lire.
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Qu'est-ce que l'ayahuasca ?
L'ayahuasca, aussi appelée yagé, est une boisson hallucinogène utilisée par les chamans en Amazonie pour accéder à des visions et des guérisons. Elle est considérée comme une médecine par les tribus qui l'utilisent. En quechua, elle signifie "liane des âmes" ou "liane des morts".
Elle contient de la DMT, la principale molécule active hallucinogène du mélange. Celle-ci est naturellement présente dans le corps, mais en très faible quantités. Certains pensent que la DMT est relâchée en grande quantité dans notre cerveau au moment de la mort. Je parle du lien entre la DMT et la mort un peu plus bas.
L'ayahuasca se consomme lors d'une cérémonie chamanique. Un chaman y pratique différents rituels provenant de traditions amérindiennes. Et selon les chamans et tribus auprès desquels il a appris la médecine, sa pratique pourra varier. Par exemple, les médecines colombiennes sont plus hard, notamment dans les chants et la purge, les médecines brésiliennes sont plus douces et davantage dans la célébration, tandis que les médecines péruviennes sont entre les deux.
L'ayahuasca (ou yagé) se présente sous forme d'une boisson épaisse et marron. Elle est préparée à partir d'un mélange composé d'une liane du même nom, l'ayahuasca ainsi que de chacruna.
C'est la chacruna qui contient la molécule active : la DMT (N,N-diméthyltryptamine).
Mais quand la DMT est ingérée, elle est détruite trop rapidement par le corps pour qu'on puisse ressentir des effets. L'enzyme qui détruit la DMT se nomme la monoamine oxydase.
La chacruna est donc mélangée à l'ayahuasca qui contient des IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase) et donne son nom à la boisson. Ainsi, la DMT ingérée peut rester suffisamment longtemps dans le corps pour produire des effets.
Et parce que la consommation d'IMAO avec certains aliments peut être dangereuse (avec le fromage notamment), on doit suivre une diète particulière avant l'ayahuasca.
Pas de sel, pas de sucre, pas de gras. De quoi rendre mangerbouger.fr ravis.
Pas de viande, pas de produits laitiers, pas de conservateurs.
Pas de sexe. Pas de drogue. Pas de médicaments.
L'ayahuasca est entourée d'une aura de mystère, dans le sens où il semble improbable, parmi les millions de combinaisons de plantes amazoniennes, que les anciens amérindiens aient découvert qu'en mélangeant ayahuasca et chacruna, on obtenait de la DMT oralement active... Comme souvent, les savoirs ancestraux qui ont traversé le temps jusqu'à nous contiennent des vérités, philosophiques ou scientifiques.
Cet article témoigne :
Il n’en reste pas moins que ce "mystère pharmacologique" est d’autant plus troublant pour certains consommateurs que – la nature faisant bien les choses – la liane ayahuasca et les feuilles de chacruna se mélangent à 50/50 et que lorsque les anciens chamans des villages amérindiens sont interrogés sur l’origine du mélange, ils désignent le ciel en expliquant que ce sont leurs « cousins des étoiles » qui leur ont transmis cette technologie de l’esprit…
Source : Association ASUD
Quels sont les effets de l'ayahuasca ?
Sous ayahuasca, on peut ressentir les effets suivants :
- Des visions et des hallucinations très colorées
- Des sensations tactiles
- La visite d'autres mondes
- Le vécu d'une dimension pleine d'amour et de sérénité
- Le sentiment de connaissance infinie
- La rencontre avec des entités (des esprits, des extraterrestres, des humains du futurs, des morts, des anges, des dieux, des créateurs... et autres entités supérieures)
- Des souvenirs de vies passées
- Des sorties de corps
- Des expériences de mort imminente (EMI)
Ce sont tous ces effets parfois un peu "magiques" qui donnent à l'ayahuasca une aura mystique.
Mais une étude a remarqué que ces effets magiques arrivaient plus facilement lorsque les participants croyaient déjà au paranormal. Comme me l'a dit un ami après coup :
Quelque part, tu vis ce que tu t'attends à vivre, ou ce que tu es prêt à vivre.
Il faut croire que je n'étais pas prêt à vivre du paranormal.
Bien sûr, selon la quantité consommée et ta capacité à lâcher prise, les effets varieront en intensité, quels qu'ils soient.
La première nuit, je ne lâchais pas du tout prise, par peur, et les effets sont restés limités. La deuxième nuit, ça allait mieux et j'ai eu des visions plus fortes.
Quoi qu'il arrive, les effets ne seront pas les mêmes à chaque fois, et dépendront de chaque personne. Le contexte et le guide jouent évidemment pour beaucoup. D'où l'importance de bien choisir son chaman.
J'ai constaté chez moi et chez les autres participants 3 effets principaux :
- Effets mentaux
- Effets physiques et émotionnels
- Effets visuels
1. Effets mentaux : tout comme les autres psychédéliques (psilocybine, LSD...), tes pensées sont modifiées.
Les miennes partaient davantage dans tous les sens, j'avais des insights sur mon fonctionnement et sur ma vie, beaucoup d'introspection, de réflexions métaphysiques et globalement des idées plus originales. C'était des leçons intéressantes.
2. Effets physiques et émotionnels : l'ayahuasca peut modifier tes sensations corporelles internes et faire remonter des émotions. Globalement ça rend plus hypersensible.
Tu peux ressentir des mouvements et des changements de température dans ton corps, comme si tu étais brassé, mais pas forcément de manière désagréable. Des émotions bloquées peuvent être libérées durablement.
Pendant un moment, j'ai eu des visions où je sentais mon cortex pré-frontal malaxé comme une éponge et passé à la machine à laver.
Souvent, tu as une phase avec de la nausée, où tu vomis. Eh oui, l'ayahuasca fait beaucoup purger.
3. Effets visuels : l'aya peut aussi donner des visions très vives, colorées et intenses. De ce que j'ai vu, c'était plutôt des visions yeux fermés.
Ma vision yeux ouverts était légèrement modifiée : j'étais un peu plus réceptif aux suggestions, les ombres des abats-jours faisant comme des planètes au plafond... Mais ça n'avait rien à voir avec les distorsions que peuvent amener le LSD ou les champignons hallucinogènes (psilocybine).
La deuxième nuit, quand j'ai mieux réussi à lâcher prise, j'ai eu des visions assez fortes les yeux fermés. Je me baladais à travers des mondes imaginaires, et parfois je croisais des humanoïdes.
J'ai vu une femme avec la peau mauve et des cornes de démon. En la voyant, je me suis dit que c'était la déesse de la mort.
Elle a dardé son regard sur moi, et c'est comme si elle me transperçait, comme si elle était vraiment là. C'était déstabilisant.
Ces images représentent étrangement bien la femme que j'ai vue :
Source : Oracle de Kali, Alana Fairchild
En faisant des recherches pour cet article, je me suis rendu compte que la démone que j'avais vue ressemblait beaucoup à Kali, la déesse hindoue de la préservation, la transformation et la destruction.
Kali représente le pouvoir destructeur du temps, celui qui détruit toute chose. Celui qui la vénère est libéré de la peur de la destruction.
Source : Wikipédia
L'ayahuasca, la DMT et la mort
Certains effets de la DMT se rapprochent des expériences de mort imminente (EMI).
Ces effets se retrouvaient dans le témoignage de personnes ayant consommé de la DMT. Une étude a confirmé que ces effets vécus sous DMT correspondaient bien aux critères des EMI.
Certains pensent ainsi qu'au moment de la mort, le cerveau décharge une grande dose de DMT pour faciliter le passage de la vie à la mort. Ça expliquerait les effets proches des expériences de mort imminente. On a montré par tube à essai que la DMT réduisait les dommages neuronaux liés au manque d’oxygène.
Ainsi, selon le psychiatre Rick Strassman, qui a mené dans les années 90 les premières recherches légales aux États-Unis sur la DMT :
On peut imaginer une théorie cohérente comme celle de l’augmentation de la DMT endogène (produite par le corps) en réaction à un arrêt cardiaque ou à l’hypoxie (manque d'oxygène) pour protéger le cerveau aussi longtemps que possible.
Pourquoi produire une substance avec des propriétés psychédéliques plutôt que, par exemple, un opioïde ou une endorphine endogènes qui entraîneraient tout simplement un état d’inconscience?
C’est une question intéressante.
Mon impression, c’est qu’alors que la conscience “quitte” le corps, la DMT pourrait servir d'intermédiaire et refléter ce qu’on vit quand on meurt.
Ce qui se passe après, par contre, reste un mystère.
Rick Strassman
Mon témoignage sur l'ayahuasca et ce que j'ai tiré de cette expérience
La cérémonie de l'ayahuasca
Le rapé
Après une diète de 2 semaines, j'arrive à la retraite.
On se dit bonjour, on fait connaissance, on installe nos affaires pour la nuit.
J'ai une légère appréhension, mais je sais que ce qui va se passer n'est pas dans mon contrôle. Alors je garde un certain lâcher prise.
Une des participantes me propose de me faire un rapé.
La cérémonie du rapé, c'est du tabac en poudre qu'on te souffle dans le nez, en suivant un certain rituel :
On pose une intention pour le rapé.
On inspire, et on bloque.
D'abord la narine gauche...
Ahh ça brûle !
... puis la narine droite.
Je pleure, j'ai le nez qui coule... et mon esprit est parti loin au-dessus des nuages.
Elle claque des doigts :
Reviens.
Le rapé t'aide à t'ancrer dans le moment présent avant l'ayahuasca. Aux dires du chaman, c'est une médecine qui se marie très bien avec celle du yagé.
Et effectivement, ça m'a ancré... un peu. Quand tu es beaucoup dans le mental comme moi (et beaucoup d'autres zèbres), le rapé calme le mental un petit moment... mais celui-ci revient vite.
La cérémonie d'ouverture
On fait un cercle de parole, et chacun pose son intention pour la session.
La mienne ?
Guérir de mon schéma exigences élevées qui me met une pression de dingue pour être parfait et sauver le monde.
Le cercle s'achève et la cérémonie commence.
Tout le monde se pose sur son matelas.
Le chaman répand de la fumée de résine de copal pour purifier et protéger la pièce avant la cérémonie.
Les lumières s'éteignent. Le chaman allume une bougie.
Il commence à chanter ses icaros, des chants guérisseurs.
Il crache de l'agua florida sur ses chakapas qu'il agite en récitant des prières.
Finalement, il ouvre le breuvage, sert un verre et récite des prières en le tenant près de lui.
Il le lève haut devant lui : Salud con todos y buena pinta!
(Santé à tous et bon verre / bonne vision)
Et il boit le premier.
Oui, pendant une cérémonie d'ayahuasca, le chaman en prend aussi.
Il invite la première personne à prendre place devant lui, et répète le rituel pour le second verre.
Corona, corona, corona... Pinta, pinta, pinta... Usa.
Les personnes défilent ainsi, quand vient mon tour.
Je sens la tension monter. C'est surréel.
Devant moi un chaman est en train de bénir une liane psychédélique que je m'apprête à boire...
Et j'attends cette expérience depuis 8 ans...
Il me tend le verre.
Ça y est.
Je le prends, le tiens contre mon coeur et je regarde autour de moi.
"Salud con todos y buena pinta!"
Et je le bois cul sec.
Le goût est fort mais pas désagréable. C'est assez épais, on dirait un peu du Cachou liquide. N'empêche que ça reste en bouche.
On a possibilité de prendre du miel ensuite pour faire passer le goût. Le miel symbolise les abeilles et leur pouvoir vivifiant pour la nature. Pour qu'elles nous accompagnent dans notre voyage.
Mais je suis végan, et le miel est dans un contenant plastique, il a l'air industriel. Je considère que je serai bien plus aligné avec les abeilles en refusant de manger un miel qui a dû les décimer.
Alors je supporte le goût en bon stoïque, et je retourne m'asseoir.
Quand tout le monde est passé, on attend dans le calme que les effets viennent nous cueillir.
Conversations avec mon corps : ce que j'ai appris de l'ayahuasca
Je suis venu à l'ayahuasca avec de grandes attentes. Je m'attendais à une déflagration, à une métamorphose. Au fond, je crois que j'espérais une expérience violente, quelque chose qui me transformerait en profondeur.
Bien sûr, une autre partie de moi avait peur et voulait de la douceur.
Je pensais voir le sens de ma vie... voire le sens de la vie.
Je m'attendais à du spirituel, du cosmique, du céleste.
C'est ce que je voulais...
Mais pas ce dont j'avais besoin.
Et l'ayahuasca a préféré me montrer ce que je devais vraiment apprendre.
Dans la médecine ayahuasca, les chamans prêtent des intentions à la plante : elle sait ce qui est bon pour toi et te le montrera. C'est pour ça que je lui en prête également, même si ce n'est pas spécialement ma croyance.
Ce dont j'avais besoin, ce n'était pas de partir plus haut dans les nuages.
Ça, je le fais très bien tout seul.
J'avais besoin de retourner les pieds sur Terre, d'apprendre l'ancrage.
Parce qu'en entendant les autres gémir et vomir autour de moi, mon esprit se téléportait dans leur tête et je souffrais avec eux. Je ressentais toutes les émotions, sauf les miennes.
Parfois, je m'ennuyais et je voulais discuter avec les autres. Je me faisais royalement chier.
Mon esprit était avec eux, mais il n'était pas présent avec moi.
Et c'est là que j'ai eu une conversation avec mon corps.
"Il faut qu'on parle."
En chacun de nous, on a plusieurs parts qui portent des facettes de notre personnalité. Quand tu vis un conflit interne, c'est tout simplement 2 parts en toi qui sont en conflit...
Certaines de ces parts intérieures sont blessées, et sont protégées par d'autres. Les parts protectrices peuvent avoir des comportements inadaptés voire destructeurs. Ces comportements incluent les schémas de Young et leurs mécanismes de défense.
Ça, c'est le modèle de l'IFS (Internal Family System). Personnifier et humaniser nos émotions aide à les apaiser.
J'avais déjà utilisé l'IFS avec succès l'année passée pour guérir de mon schéma d'abandon.
Et j'étais venu à l'ayahuasca avec l'intention de discuter avec la part de moi qui portait mon schéma d'exigences élevées, afin de guérir le traumatisme caché derrière.
Ce schéma me rend intransigeant et ultra critique envers moi-même, rarement satisfait et paralysé par la peur de l'échec. C'est ce schéma qui fait que je veux publier énormément d'articles en peu de temps, et c'est ce même schéma qui me fait passer des (dizaines d') heures sur un seul article.
Mais au lieu de parler avec cette partie-là, j'en ai vue une autre.
J'ai vu la part de moi qui gère mon corps et mes sensations, que j'appelle Se (pour Sensation extravertie).
Le MBTI est un modèle de personnalité basé sur les travaux du psychologue Carl Jung, qui considère qu'on a en nous 8 fonctions cognitives, dont 4 conscientes. Les fonctions cognitives sont 8 façons d'utiliser notre cerveau.
Personnellement, je suis INFJ. J'ai donc en moi 4 fonctions cognitives conscientes qui donnent 4 parts :
- Ni, la vision, le mental
- Fe, l'harmonie, les connexions
- Ti, la précision, la cohérence
- Se, le corps, les sensations, le moment présent
Se est en 4ème chez moi. C'est ma faiblesse, et j'ai tendance à délaisser cette part de moi : je suis tout le temps dans mon mental (Ni) à imaginer le futur et décortiquer le présent en concepts... très rarement dans mon corps (Se).
Pourtant, c'est avec Se que j'ai discuté, bien que je n'avais jamais réussi à avoir un vrai échange auparavant.
D'abord, j'ai eu une vision mêlée d'une sensation.
Comme si quelqu'un me tirait la manche.
J'ai regardé qui me tirait la manche, et tout de suite compris que c'était une part de moi.
Cette part avait pris le visage d'une personne que j'aime beaucoup.
Elle était pleine de joie et d'enthousiasme et voulait me parler.
C'était comme si elle était muette, et faisait de grands gestes pour attirer mon attention, pour ouvrir un dialogue sans passer par les mots. Elle faisait des mimiques avec son visage, mais elle ne parlait pas.
Et c'est là que j'ai compris.
Eurêka, bordel.
La communication avec mon corps est non verbale.
Clairement, je suis un mec qui préfère le mental. Il y fait bon et douillet, et j'évite de trop m'aventurer du côté de mes sensations, de mon corps, du moment présent.
Tellement que j'ai eu tendance à être dédaigneux avec cette part de moi. Avec tout ce qui me tirait vers le moment présent, le concret et le manuel, les sensations agréables et les petits bonheurs du quotidien...
Je ne trouvais pas ça intéressant, je ne trouvais pas ça intelligent.
Je jugeais l'intelligence de mon corps sur l'aspect verbal, pensant que c'était la seule intelligence qui existait, ou la seule valable.
Mais son langage est avant tout non verbal. Son intelligence aussi. Évidemment.
Tout comme la personne dont il portait le visage.
Et parce que je comprenais cette personne, j'ai pu comprendre mon corps.
Il faisait des signes de tête, me regardait avec des grands yeux en agitant les mains, comme s'il ne pouvait pas parler. L'air de me dire "Mais merde, mais comprends !".
Et j'ai compris :
On ne peut pas parler avec des mots, mais on peut communiquer avec des gestes.
Soudain, mon corps avait de la valeur, parce que je voyais son intelligence, sa pertinence. Mon mental percevait enfin comment ils pouvaient marcher main dans la main vers ma vision.
C'est comme ça que j'ai eu 3 types de communications différentes avec mon corps, qui m'ont stupéfié :
1. Les pressions
J'ai commençé par communiquer avec mon corps en contractant certains muscles ou en agitant mes doigts ou mes pieds...
... et mon corps répondait par des pressions, des contractions ou des vagues de chaleur.
Non, je n'étais ni enceinte ni ménopausé
Je parlais et il me répondait. Ainsi, on communiquait.
Je m'assurais de sa présence, et il s'assurait de mon attention.
J'avais ouvert un canal de communication avec mon corps.
2. La douleur
Plus tard dans la nuit, mon mental et mes peurs avaient repris le dessus, et je sentais une douleur le long de ma jambe gauche. Il faut savoir que je traine une tendinite sur ma jambe depuis 2 ans, et mon ostéopathe m'avait dit qu'à ce stade, la douleur n'avait plus de cause physique, elle était surtout générée par mon cerveau : c'était ma peur d'avoir mal qui me faisait mal.
J'avais déjà fait un travail là-dessus en discutant avec la part de moi qui gérait cette douleur, et ça l'avait soulagée, dans une certaine mesure. Mais parfois, la douleur revenait...
Et c'était le cas ici.
La douleur remontait et occupait toute ma jambe. C'était horrible ! Je voulais qu'elle parte, qu'elle me laisse tranquille. Je me débattais intérieurement.
Et puis mon corps m'a tiré par la manche.
Métaphoriquement, bien sûr.
Par son visage et ses gestes, il me disait
"Eh oh, faut pas avoir peur du corps !
Regarde, je vais te montrer"
Il m'a pris par la main, et doucement il m'a fait bouger mes pieds, ma cheville et chaque muscle.
"Voilà, regarde, t'as pas à avoir peur, elle est là, on est là...
Tout va bien."
Je ré-apprivoisais mon corps et je revenais habiter ma jambe, non pas par le mental, ce qui causait ma douleur, mais par les sensations. Je récupérais l'usage conscient de ma jambe.
Peu à peu, je me suis apaisé, et la douleur a disparu.
3. La douceur
J'avais parlé à ma psy de la séance d'ayahuasca à venir. Parce que je savais que ça allait être dur. Elle m'avait alors posé la question suivante :
Comment est-ce que tu peux t'apporter de la douceur dans la douleur et la difficulté ?
Question intéressante. J'avais quelques idées.
D'abord, j'avais une couette et un plaid. Et ça, c'était royal.
Mais la peur dont je faisais part à ma psy venait surtout de la peur de vomir.
Parce que sous ayahuasca, tu vomis. Beaucoup.
Bien sûr, comme tout le monde là-bas, j'avais mon seau à vomi. Dis donc, les normes changent vite selon le contexte.
Mais je ne voulais pas vomir, j'en avais peur, et j'avais du mal à traverser les nausées.
Et puis finalement, j'ai vomi. Beaucoup.
C'est ce qu'on appelle la purge.
Selon la médecine ayahuasca, quand tu purges en vomissant, tu purges des choses plus profondes : des pensées difficiles, des émotions, des traumatismes. L'effet est plus durable que sur le moment : tu te nettoies pour en ressortir grandi·e.
Là où j'ai su trouver de la douceur, c'est par mon corps. Encore.
Même si je vomissais et que c'était horrible, ce corps avec qui j'avais discuté était là pour me rassurer, pour poser une main réconfortante sur mon épaule, pour m'accompagner avec douceur à travers la douleur.
Et quand les nausées sont parties, mon corps est resté présent.
Je me suis enfoui dans ma couette et mes plaids, enrobé de douceur, et je me suis fait un câlin : je me suis entouré le buste avec mes bras et j'ai posé ma tête sur mon épaule.
Je ne sais pas si tu t'es déjà fait un câlin comme ça.
Alors c'est sympa, et je conseille, mais ce n'est pas non plus extraordinaire. Il manque une certaine interaction. Par rapport à un câlin avec une autre personne, ça ne fait pas le poids.
Mais là ! Là !
C'était différent.
Je me serrais avec des petites pressions du bout des doigts comme je l'aurais fait avec quelqu'un d'autre, et mon corps me répondait avec d'autres pressions, des vagues de chaleur et de la joie. Mon corps me faisait un câlin en retour.
Et comme j'étais mon corps et que mon corps était moi, il y avait une vraie symbiose : je ressentais ce qu'il ressentait, et inversement.
C'était trop beau. Ça m'a ému.
J'étais en connexion avec moi-même.
C'est là que j'ai compris.
C'est ça de s'aimer.
C'est ça le self love :
Être présent à soi en s'apportant de la douceur, de l'amour et de la compassion.
Même quand ça va pas, même quand c'est difficile.
Tous les autres participants affirmaient que le chaman sentait leurs besoins et venait à eux quand ils avaient besoin de lui...
Ben moi pas du tout.
J'ai eu beau attendre, rien ne se passait. J'étais seul, et je m'ennuyais.
"Chaque situation est parfaite comme elle est, et si elle ne te plait pas, tu peux essayer de trouver la leçon que le monde cherche à t'enseigner."
C'est ce qu'une participante m'avait dit avant la session.
Alors j'ai fini par me dire que c'était intentionnel de la part de la réalité, de la plante ou du chaman.
Ma leçon, c'était d'apprendre à me débrouiller tout seul.
À me donner l'amour et la connexion que je recherchais.
À arrêter d'attendre de l'extérieur.
À me tourner vers l'intérieur.
Parce que je me suffis.
C'est le meilleur moyen de s'aider soi, et d'aider ensuite les autres depuis un plein de soi.
Sans m'en rendre compte, j'ai travaillé sur mon schéma exigences élevées et mon syndrome du sauveur. L'ayahuasca n'a simplement pas pris le chemin que j'avais imaginé.
C'est l'heure de la cérémonie de clôture.
La limpia, l'offrande à la pachamama et les adieux
C'est la fin du week-end : on range nos affaires, on fait le ménage, on discute encore un peu.
Je donne de l'écoute et une présence réconfortante à une des participantes qui a vécu une nuit horrible. Elle était possédée et ne controlait plus son corps. Waow.
Dernier cercle de parole. Chacun raconte son expérience. Je leur fais un résumé.
Ça y est, il est temps de clôturer.
On va tous dehors pour la dernière cérémonie : la limpia. En espagnol : le nettoyage.
Je n'ai pas d'offrande pour la terre mère, la pachamama, alors j'inspecte le sol dans l'espoir de trouver un trèfle à 4 feuilles. Ça m'arrive souvent de regarder et d'en trouver, d'où mon espoir.
Et là, je le vois : un trèfle à 5 feuilles.
Je le ramasse et je souris de cette jolie coïncidence.
On se place tous en cercle, côte à côte dans la brume.
Le chaman commence à jouer de l'harmonica.
Puis il passe devant chacun d'entre nous en agitant sa chakapa sur notre poitrine pour nous débarrasser des esprits et énergies restantes.
Et sur ce son d'harmonica, je nous contemple, et j'ai des frissons.
Des frissons parce que ce qu'on vient de vivre tous ensemble était dingue, un sentiment d'appartenance est né, on a formé des connexions fortes.
J'ai de la gratitude pour tout ce qu'on a vécu ensemble.
De l'humilité face à la magie qui se dégage de ce moment.
Et de la compassion pour mon esprit rationnel qui reste sans voix.
Dans ma main, je serre mon trèfle à 5 feuilles.
Pendant que le chaman passe devant les autres, je suis ému, et je lâche prise. Je ne contrôle pas grand chose. Je suis tout petit dans le grand ordre des choses. Et ça m'apaise. Je n'ai pas besoin de sauver le monde, juste de faire ma part.
Tranquillement, à mon rythme.
Quand le chaman termine la limpia, je reste silencieux. Médusé.
On monte alors par un petit chemin de terre pour aller déposer les offrandes à la pachamama.
Chacun a une fleur provenant d'un bouquet ainsi que diverses offrandes : des fruits, des noix, un quartz. On les dépose alors tour à tour dans la forêt. Je dépose mon trèfle en souriant.
C'est beau.
On redescend, physiquement mais pas métaphoriquement pour le temps des adieux.
On se fait tous un câlin. C'est touchant.
Grosse surprise : une femme avec qui je sentais une grande ressemblance alors qu'on avait à peine parlé me dit
"J'ai beaucoup résonné avec ce que tu as dit ce week-end, j'ai eu l'impression de voir chez toi un moi plus jeune".
Et bien je l'ai vu aussi.
Je suis fasciné par tout ce qui est passé sans qu'on ait eu besoin de parler. Avec elle comme avec les autres.
Je dis au revoir à une autre femme qui me dit :
Tu sais, tu n'as pas besoin d'être parfait. Tu es déjà parfait.
Tout est parfait, là, comme ça, comme c'est.
Ça m'a ému.
Tout est parfait.
Comme me l'avait dit une amie chrétienne juste avant le week-end :
Tout est accompli.
Le reste, c'est du bonus.
Sources et ressources