J’ai pris de l’ayahuasca avec un chaman… et mon corps m’a parlé

Le mois dernier, j’ai pris de l’ayahuas­ca avec un chaman sur 2 nuits.
Voici mon témoignage sur l’ayahuas­ca, le yagé (la pré­pa­ra­tion) et la DMT (la molécule psy­choac­tive)…

Depuis tout petit, j’ai voulu explor­er mon cerveau, et en trou­ver les lim­ites.
Quitte à vivre une seule vie, autant la vivre le mieux pos­si­ble.

Pour moi, ça impli­quait d’ap­pren­dre tout ce que je pou­vais faire de mon cerveau.
Sans sur­prise, je me suis pris de pas­sion pour la psy­cholo­gie, l’in­tro­spec­tion, le développe­ment per­son­nel, et…
Les psy­chédéliques.

Fin lycée, je tombe sur un arti­cle qui témoigne d’une expéri­ence sous ayahuas­ca. Au tiers de l’ar­ti­cle, ça y est, je me suis décidé :

Un jour je prendrai de l’ayahuas­ca avec un chaman…

8 ans plus tard, je l’ai fait.

Voici mon témoignage, et les leçons que j’en ai tirées.
Tu en décou­vri­ras égale­ment plus sur l’ayahuas­ca et la DMT, ses rites, ses effets, ses mys­tères.

Toutes mes sources sont à la fin de l’ar­ti­cle.


Mon impres­sion, c’est qu’alors que la con­science “quitte” le corps, la DMT pour­rait servir d’in­ter­mé­di­aire et refléter ce qu’on vit quand on meurt. Ce qui se passe après, par con­tre, reste un mys­tère.

Rick Strass­man

Tu veux aller plus vite ? Saute à la par­tie qui t’in­téresse :

Tu ne sais pas ce qu’est l’ayahuas­ca ? Clique ici pour appren­dre l’essen­tiel.
Tu veux con­naître les effets de l’ayahuas­ca ? Clique ici pour voir la liste.
Tu veux lire mon témoignage sur l’ayahuas­ca ? Clique ici pour le lire.

Sinon ?

Lis l’ar­ti­cle dans l’or­dre 😉

Témoignage de l'ayahuasca et la DMT avec un chaman



Qu’est-ce que l’ayahuasca ?

Peinture de visions sous Ayahuasca par Pablo Amaringo - Llullon Llaki Supai

Pein­ture inspirée de visions sous Ayahuas­ca — Llul­lon Lla­ki Supai” par Pablo Amaringo

L’ayahuas­ca, aus­si appelée yagé, est une bois­son hal­lu­cinogène util­isée par les chamans en Ama­zonie pour accéder à des visions et des guérisons. Elle est con­sid­érée comme une médecine par les tribus qui l’u­tilisent. En quechua, elle sig­ni­fie “liane des âmes” ou “liane des morts”.

Elle con­tient de la DMT, la prin­ci­pale molécule active hal­lu­cinogène du mélange. Celle-ci est naturelle­ment présente dans le corps, mais en très faible quan­tités. Cer­tains pensent que la DMT est relâchée en grande quan­tité dans notre cerveau au moment de la mort. Je par­le du lien entre la DMT et la mort un peu plus bas.

L’ayahuas­ca se con­somme lors d’une céré­monie chamanique. Un chaman y pra­tique dif­férents rit­uels provenant de tra­di­tions amérin­di­ennes. Et selon les chamans et tribus auprès desquels il a appris la médecine, sa pra­tique pour­ra vari­er. Par exem­ple, les médecines colom­bi­ennes sont plus hard, notam­ment dans les chants et la purge, les médecines brésili­ennes sont plus douces et davan­tage dans la célébra­tion, tan­dis que les médecines péru­vi­ennes sont entre les deux.

L’ayahuas­ca (ou yagé) se présente sous forme d’une bois­son épaisse et mar­ron. Elle est pré­parée à par­tir d’un mélange com­posé d’une liane du même nom, l’ayahuas­ca ain­si que de chacruna.

Préparation de yagé à base d'ayahuasca et de chacruna - CBC - Mark Kelly

Pour obtenir du yagé, on mélange de la liane d’ayahuas­ca et des feuilles de chacruna à 50/50 — pho­to par Mark Kel­ly, CBC

C’est la chacruna qui con­tient la molécule active : la DMT (N,N‑diméthyltryptamine).

Mais quand la DMT est ingérée, elle est détru­ite trop rapi­de­ment par le corps pour qu’on puisse ressen­tir des effets. L’en­zyme qui détru­it la DMT se nomme la monoamine oxy­dase.

La chacruna est donc mélangée à l’ayahuas­ca qui con­tient des IMAO (inhib­i­teurs de la monoamine oxy­dase) et donne son nom à la bois­son. Ain­si, la DMT ingérée peut rester suff­isam­ment longtemps dans le corps pour pro­duire des effets.

Et parce que la con­som­ma­tion d’I­MAO avec cer­tains ali­ments peut être dan­gereuse (avec le fro­mage notam­ment), on doit suiv­re une diète par­ti­c­ulière avant l’ayahuas­ca.

Pas de sel, pas de sucre, pas de gras. De quoi ren­dre mangerbouger.fr ravis.
Pas de viande, pas de pro­duits laitiers, pas de con­ser­va­teurs.
Pas de sexe. Pas de drogue. Pas de médica­ments.

L’ayahuas­ca est entourée d’une aura de mys­tère, dans le sens où il sem­ble improb­a­ble, par­mi les mil­lions de com­bi­naisons de plantes ama­zoni­ennes, que les anciens amérin­di­ens aient décou­vert qu’en mélangeant ayahuas­ca et chacruna, on obte­nait de la DMT orale­ment active… Comme sou­vent, les savoirs ances­traux qui ont tra­ver­sé le temps jusqu’à nous con­ti­en­nent des vérités, philosophiques ou sci­en­tifiques.

Cet arti­cle témoigne :

Il n’en reste pas moins que ce “mys­tère phar­ma­cologique” est d’autant plus trou­blant pour cer­tains con­som­ma­teurs que – la nature faisant bien les choses – la liane ayahuas­ca et les feuilles de chacruna se mélan­gent à 50/50 et que lorsque les anciens chamans des vil­lages amérin­di­ens sont inter­rogés sur l’origine du mélange, ils désig­nent le ciel en expli­quant que ce sont leurs « cousins des étoiles » qui leur ont trans­mis cette tech­nolo­gie de l’esprit…

Source : Asso­ci­a­tion ASUD


Quels sont les effets de l’ayahuasca ?

Liste des effets de l'ayahuasca et la DMT

Sous ayahuas­ca, on peut ressen­tir les effets suiv­ants :

  • Des visions et des hal­lu­ci­na­tions très col­orées
  • Des sen­sa­tions tac­tiles
  • La vis­ite d’autres mon­des
  • Le vécu d’une dimen­sion pleine d’amour et de sérénité
  • Le sen­ti­ment de con­nais­sance infinie
  • La ren­con­tre avec des entités (des esprits, des extrater­restres, des humains du futurs, des morts, des anges, des dieux, des créa­teurs… et autres entités supérieures)
  • Des sou­venirs de vies passées
  • Des sor­ties de corps
  • Des expéri­ences de mort immi­nente (EMI)


Ce sont tous ces effets par­fois un peu “mag­iques” qui don­nent à l’ayahuas­ca une aura mys­tique.
Mais une étude a remar­qué que ces effets mag­iques arrivaient plus facile­ment lorsque les par­tic­i­pants croy­aient déjà au para­nor­mal. Comme me l’a dit un ami après coup :

Quelque part, tu vis ce que tu t’at­tends à vivre, ou ce que tu es prêt à vivre.

Il faut croire que je n’é­tais pas prêt à vivre du para­nor­mal.


Bien sûr, selon la quan­tité con­som­mée et ta capac­ité à lâch­er prise, les effets varieront en inten­sité, quels qu’ils soient.
La pre­mière nuit, je ne lâchais pas du tout prise, par peur, et les effets sont restés lim­ités. La deux­ième nuit, ça allait mieux et j’ai eu des visions plus fortes.

Quoi qu’il arrive, les effets ne seront pas les mêmes à chaque fois, et dépen­dront de chaque per­son­ne. Le con­texte et le guide jouent évidem­ment pour beau­coup. D’où l’im­por­tance de bien choisir son chaman.


J’ai con­staté chez moi et chez les autres par­tic­i­pants 3 effets prin­ci­paux :

  1. Effets men­taux
  2. Effets physiques et émo­tion­nels
  3. Effets visuels

1. Effets men­taux : tout comme les autres psy­chédéliques (psilo­cy­bine, LSD…), tes pen­sées sont mod­i­fiées.
Les miennes par­taient davan­tage dans tous les sens, j’avais des insights sur mon fonc­tion­nement et sur ma vie, beau­coup d’in­tro­spec­tion, de réflex­ions méta­physiques et glob­ale­ment des idées plus orig­i­nales. C’é­tait des leçons intéres­santes.


2. Effets physiques et émo­tion­nels : l’ayahuas­ca peut mod­i­fi­er tes sen­sa­tions cor­porelles internes et faire remon­ter des émo­tions. Glob­ale­ment ça rend plus hyper­sen­si­ble.

Tu peux ressen­tir des mou­ve­ments et des change­ments de tem­péra­ture dans ton corps, comme si tu étais brassé, mais pas for­cé­ment de manière désagréable. Des émo­tions blo­quées peu­vent être libérées durable­ment.

Pen­dant un moment, j’ai eu des visions où je sen­tais mon cor­tex pré-frontal malaxé comme une éponge et passé à la machine à laver.

Sou­vent, tu as une phase avec de la nausée, où tu vom­is. Eh oui, l’ayahuas­ca fait beau­coup purg­er.


3. Effets visuels : l’aya peut aus­si don­ner des visions très vives, col­orées et intens­es. De ce que j’ai vu, c’é­tait plutôt des visions yeux fer­més.

Ma vision yeux ouverts était légère­ment mod­i­fiée : j’é­tais un peu plus récep­tif aux sug­ges­tions, les ombres des abats-jours faisant comme des planètes au pla­fond… Mais ça n’avait rien à voir avec les dis­tor­sions que peu­vent amen­er le LSD ou les champignons hal­lu­cinogènes (psilo­cy­bine).

La deux­ième nuit, quand j’ai mieux réus­si à lâch­er prise, j’ai eu des visions assez fortes les yeux fer­més. Je me bal­adais à tra­vers des mon­des imag­i­naires, et par­fois je croi­sais des humanoïdes.

J’ai vu une femme avec la peau mauve et des cornes de démon. En la voy­ant, je me suis dit que c’é­tait la déesse de la mort.
Elle a dardé son regard sur moi, et c’est comme si elle me transperçait, comme si elle était vrai­ment là. C’é­tait désta­bil­isant.

Ces images représen­tent étrange­ment bien la femme que j’ai vue :

Kali 0 - Visions sous ayahuasca
Kali - Visions sous ayahuasca
Kali - Visions sous ayahuasca

Source : Ora­cle de Kali, Alana Fairchild

En faisant des recherch­es pour cet arti­cle, je me suis ren­du compte que la démone que j’avais vue ressem­blait beau­coup à Kali, la déesse hin­doue de la préser­va­tion, la trans­for­ma­tion et la destruc­tion.

Kali représente le pou­voir destruc­teur du temps, celui qui détru­it toute chose. Celui qui la vénère est libéré de la peur de la destruc­tion.

Source : Wikipé­dia


L’ayahuasca, la DMT et la mort

La DMT, les EMI et la mort

Cer­tains effets de la DMT se rap­prochent des expéri­ences de mort immi­nente (EMI).
Ces effets se retrou­vaient dans le témoignage de per­son­nes ayant con­som­mé de la DMT. Une étude a con­fir­mé que ces effets vécus sous DMT cor­re­spondaient bien aux critères des EMI.

Cer­tains pensent ain­si qu’au moment de la mort, le cerveau décharge une grande dose de DMT pour faciliter le pas­sage de la vie à la mort. Ça expli­querait les effets proches des expéri­ences de mort immi­nente. On a mon­tré par tube à essai que la DMT rédui­sait les dom­mages neu­ronaux liés au manque d’oxygène.

Ain­si, selon le psy­chi­a­tre Rick Strass­man, qui a mené dans les années 90 les pre­mières recherch­es légales aux États-Unis sur la DMT :

On peut imag­in­er une théorie cohérente comme celle de l’augmentation de la DMT endogène (pro­duite par le corps) en réac­tion à un arrêt car­diaque ou à l’hypoxie (manque d’oxygène) pour pro­téger le cerveau aus­si longtemps que pos­si­ble.
Pourquoi pro­duire une sub­stance avec des pro­priétés psy­chédéliques plutôt que, par exem­ple, un opi­oïde ou une endor­phine endogènes qui entraîn­eraient tout sim­ple­ment un état d’inconscience ?
C’est une ques­tion intéres­sante.
Mon impres­sion, c’est qu’alors que la con­science “quitte” le corps, la DMT pour­rait servir d’in­ter­mé­di­aire et refléter ce qu’on vit quand on meurt.
Ce qui se passe après, par con­tre, reste un mys­tère.

Rick Strass­man


Mon témoignage sur l’ayahuasca et ce que j’ai tiré de cette expérience

La cérémonie chamanique de l'ayahuasca

La cérémonie de l’ayahuasca

Le rapé

Après une diète de 2 semaines, j’ar­rive à la retraite.
On se dit bon­jour, on fait con­nais­sance, on installe nos affaires pour la nuit.

J’ai une légère appréhen­sion, mais je sais que ce qui va se pass­er n’est pas dans mon con­trôle. Alors je garde un cer­tain lâch­er prise.

Une des par­tic­i­pantes me pro­pose de me faire un rapé.
La céré­monie du rapé, c’est du tabac en poudre qu’on te souf­fle dans le nez, en suiv­ant un cer­tain rit­uel :

On pose une inten­tion pour le rapé.

On inspire, et on bloque.

D’abord la nar­ine gauche…

Ahh ça brûle !

Rapé et ayahuasca

… puis la nar­ine droite.

Je pleure, j’ai le nez qui coule… et mon esprit est par­ti loin au-dessus des nuages.

Elle claque des doigts :
Reviens.

Le rapé t’aide à t’an­cr­er dans le moment présent avant l’ayahuas­ca. Aux dires du chaman, c’est une médecine qui se marie très bien avec celle du yagé.

Et effec­tive­ment, ça m’a ancré… un peu. Quand tu es beau­coup dans le men­tal comme moi (et beau­coup d’autres zèbres), le rapé calme le men­tal un petit moment… mais celui-ci revient vite.


La cérémonie d’ouverture

On fait un cer­cle de parole, et cha­cun pose son inten­tion pour la ses­sion.

La mienne ?

Guérir de mon sché­ma exi­gences élevées qui me met une pres­sion de dingue pour être par­fait et sauver le monde.

Le cer­cle s’achève et la céré­monie com­mence.
Tout le monde se pose sur son mate­las.

Le chaman répand de la fumée de résine de copal pour puri­fi­er et pro­téger la pièce avant la céré­monie.

Les lumières s’éteignent. Le chaman allume une bougie.
Il com­mence à chanter ses icaros, des chants guéris­seurs.
Il crache de l’agua flori­da sur ses chaka­pas qu’il agite en réc­i­tant des prières.

Chakapa utilisée pour les cérémonies d'ayahuasca au Centre Takiwasi

Chaka­pa util­isée pour les céré­monies d’ayahuas­ca au Cen­tre Taki­wasi, Pérou

Finale­ment, il ouvre le breuvage, sert un verre et récite des prières en le ten­ant près de lui.
Il le lève haut devant lui : Salud con todos y bue­na pin­ta !
(San­té à tous et bon verre / bonne vision)

Et il boit le pre­mier.

Oui, pen­dant une céré­monie d’ayahuas­ca, le chaman en prend aus­si.
Il invite la pre­mière per­son­ne à pren­dre place devant lui, et répète le rit­uel pour le sec­ond verre.
Coro­na, coro­na, coro­na… Pin­ta, pin­ta, pin­ta… Usa.

Les per­son­nes défi­lent ain­si, quand vient mon tour.
Je sens la ten­sion mon­ter. C’est sur­réel.
Devant moi un chaman est en train de bénir une liane psy­chédélique que je m’ap­prête à boire…
Et j’at­tends cette expéri­ence depuis 8 ans…

Il me tend le verre.
Ça y est.

Je le prends, le tiens con­tre mon coeur et je regarde autour de moi.
“Salud con todos y bue­na pin­ta!”

Et je le bois cul sec.

Le goût est fort mais pas désagréable. C’est assez épais, on dirait un peu du Cachou liq­uide. N’empêche que ça reste en bouche.

L'ayahuasca a goût de Cachou Lajaunie

Pho­to par Didi­er Descouens

On a pos­si­bil­ité de pren­dre du miel ensuite pour faire pass­er le goût. Le miel sym­bol­ise les abeilles et leur pou­voir viv­i­fi­ant pour la nature. Pour qu’elles nous accom­pa­g­nent dans notre voy­age.
Mais je suis végan, et le miel est dans un con­tenant plas­tique, il a l’air indus­triel. Je con­sid­ère que je serai bien plus aligné avec les abeilles en refu­sant de manger un miel qui a dû les décimer.

Alors je sup­porte le goût en bon stoïque, et je retourne m’asseoir.

Quand tout le monde est passé, on attend dans le calme que les effets vien­nent nous cueil­lir.


Conversations avec mon corps : ce que j’ai appris de l’ayahuasca

Conversations avec mon corps sous ayahuasca (yagé) et DMT

Je suis venu à l’ayahuas­ca avec de grandes attentes. Je m’at­tendais à une défla­gra­tion, à une méta­mor­phose. Au fond, je crois que j’e­spérais une expéri­ence vio­lente, quelque chose qui me trans­formerait en pro­fondeur.
Bien sûr, une autre par­tie de moi avait peur et voulait de la douceur.

Je pen­sais voir le sens de ma vie… voire le sens de la vie.
Je m’at­tendais à du spir­ituel, du cos­mique, du céleste.
C’est ce que je voulais…

Mais pas ce dont j’avais besoin.
Et l’ayahuas­ca a préféré me mon­tr­er ce que je devais vrai­ment appren­dre.

Dans la médecine ayahuas­ca, les chamans prê­tent des inten­tions à la plante : elle sait ce qui est bon pour toi et te le mon­tr­era. C’est pour ça que je lui en prête égale­ment, même si ce n’est pas spé­ciale­ment ma croy­ance.

Ce dont j’avais besoin, ce n’é­tait pas de par­tir plus haut dans les nuages.
Ça, je le fais très bien tout seul.

J’avais besoin de retourn­er les pieds sur Terre, d’ap­pren­dre l’an­crage.
Parce qu’en enten­dant les autres gémir et vom­ir autour de moi, mon esprit se télé­por­tait dans leur tête et je souf­frais avec eux. Je ressen­tais toutes les émo­tions, sauf les miennes.

Par­fois, je m’en­nuyais et je voulais dis­cuter avec les autres. Je me fai­sais royale­ment chi­er.
Mon esprit était avec eux, mais il n’é­tait pas présent avec moi.

Et c’est là que j’ai eu une con­ver­sa­tion avec mon corps.

“Il faut qu’on par­le.”

Clique pour voir l’explication psychologique de ce que j’ai vécu :

En cha­cun de nous, on a plusieurs parts qui por­tent des facettes de notre per­son­nal­ité. Quand tu vis un con­flit interne, c’est tout sim­ple­ment 2 parts en toi qui sont en con­flit…

Cer­taines de ces parts intérieures sont blessées, et sont pro­tégées par d’autres. Les parts pro­tec­tri­ces peu­vent avoir des com­porte­ments inadap­tés voire destruc­teurs. Ces com­porte­ments inclu­ent les sché­mas de Young et leurs mécan­ismes de défense.

Ça, c’est le mod­èle de l’IFS (Inter­nal Fam­i­ly Sys­tem). Per­son­ni­fi­er et human­is­er nos émo­tions aide à les apais­er.

J’avais déjà util­isé l’IFS avec suc­cès l’an­née passée pour guérir de mon sché­ma d’a­ban­don.
Et j’é­tais venu à l’ayahuas­ca avec l’in­ten­tion de dis­cuter avec la part de moi qui por­tait mon sché­ma d’ex­i­gences élevées, afin de guérir le trau­ma­tisme caché der­rière.

Ce sché­ma me rend intran­sigeant et ultra cri­tique envers moi-même, rarement sat­is­fait et paralysé par la peur de l’échec. C’est ce sché­ma qui fait que je veux pub­li­er énor­mé­ment d’ar­ti­cles en peu de temps, et c’est ce même sché­ma qui me fait pass­er des (dizaines d’) heures sur un seul arti­cle.

Mais au lieu de par­ler avec cette par­tie-là, j’en ai vue une autre.

J’ai vu la part de moi qui gère mon corps et mes sen­sa­tions, que j’ap­pelle Se (pour Sen­sa­tion extraver­tie).
Le MBTI est un mod­èle de per­son­nal­ité basé sur les travaux du psy­cho­logue Carl Jung, qui con­sid­ère qu’on a en nous 8 fonc­tions cog­ni­tives, dont 4 con­scientes. Les fonc­tions cog­ni­tives sont 8 façons d’u­tilis­er notre cerveau.

Per­son­nelle­ment, je suis INFJ. J’ai donc en moi 4 fonc­tions cog­ni­tives con­scientes qui don­nent 4 parts :

  1. Ni, la vision, le men­tal
  2. Fe, l’har­monie, les con­nex­ions
  3. Ti, la pré­ci­sion, la cohérence
  4. Se, le corps, les sen­sa­tions, le moment présent

Se est en 4ème chez moi. C’est ma faib­lesse, et j’ai ten­dance à délaiss­er cette part de moi : je suis tout le temps dans mon men­tal (Ni) à imag­in­er le futur et décor­ti­quer le présent en con­cepts… très rarement dans mon corps (Se).

Pour­tant, c’est avec Se que j’ai dis­cuté, bien que je n’avais jamais réus­si à avoir un vrai échange aupar­a­vant.

 

D’abord, j’ai eu une vision mêlée d’une sen­sa­tion.
Comme si quelqu’un me tirait la manche.

J’ai regardé qui me tirait la manche, et tout de suite com­pris que c’é­tait une part de moi.
Cette part avait pris le vis­age d’une per­son­ne que j’aime beau­coup.
Elle était pleine de joie et d’en­t­hou­si­asme et voulait me par­ler.

C’é­tait comme si elle était muette, et fai­sait de grands gestes pour attir­er mon atten­tion, pour ouvrir un dia­logue sans pass­er par les mots. Elle fai­sait des mim­iques avec son vis­age, mais elle ne par­lait pas.
Et c’est là que j’ai com­pris.

Eurê­ka, bor­del.

La com­mu­ni­ca­tion avec mon corps est non ver­bale.

Claire­ment, je suis un mec qui préfère le men­tal. Il y fait bon et douil­let, et j’évite de trop m’aven­tur­er du côté de mes sen­sa­tions, de mon corps, du moment présent.

Telle­ment que j’ai eu ten­dance à être dédaigneux avec cette part de moi. Avec tout ce qui me tirait vers le moment présent, le con­cret et le manuel, les sen­sa­tions agréables et les petits bon­heurs du quo­ti­di­en…

Je ne trou­vais pas ça intéres­sant, je ne trou­vais pas ça intel­li­gent.
Je jugeais l’in­tel­li­gence de mon corps sur l’aspect ver­bal, pen­sant que c’é­tait la seule intel­li­gence qui exis­tait, ou la seule val­able.

Mais son lan­gage est avant tout non ver­bal. Son intel­li­gence aus­si. Évidem­ment.
Tout comme la per­son­ne dont il por­tait le vis­age.

Et parce que je com­pre­nais cette per­son­ne, j’ai pu com­pren­dre mon corps.

Il fai­sait des signes de tête, me regar­dait avec des grands yeux en agi­tant les mains, comme s’il ne pou­vait pas par­ler. L’air de me dire “Mais merde, mais com­prends !”.
Et j’ai com­pris :
On ne peut pas par­ler avec des mots, mais on peut com­mu­ni­quer avec des gestes.

Soudain, mon corps avait de la valeur, parce que je voy­ais son intel­li­gence, sa per­ti­nence. Mon men­tal perce­vait enfin com­ment ils pou­vaient marcher main dans la main vers ma vision.

Peinture de visions sous Ayahuasca par Pablo Amaringo - Amazonica Romantica

Pein­ture inspirée de visions sous Ayahuas­ca — Ama­zon­i­ca Roman­ti­ca” par Pablo Amaringo

C’est comme ça que j’ai eu 3 types de com­mu­ni­ca­tions dif­férentes avec mon corps, qui m’ont stupé­fié :

1. Les pressions

J’ai com­mençé par com­mu­ni­quer avec mon corps en con­trac­tant cer­tains mus­cles ou en agi­tant mes doigts ou mes pieds…
… et mon corps répondait par des pres­sions, des con­trac­tions ou des vagues de chaleur.

Non, je n’é­tais ni enceinte ni ménopausé 😄

Je par­lais et il me répondait. Ain­si, on com­mu­ni­quait.

Je m’as­sur­ais de sa présence, et il s’as­sur­ait de mon atten­tion.

J’avais ouvert un canal de com­mu­ni­ca­tion avec mon corps.


2. La douleur

Plus tard dans la nuit, mon men­tal et mes peurs avaient repris le dessus, et je sen­tais une douleur le long de ma jambe gauche. Il faut savoir que je traine une ten­di­nite sur ma jambe depuis 2 ans, et mon ostéopathe m’avait dit qu’à ce stade, la douleur n’avait plus de cause physique, elle était surtout générée par mon cerveau : c’é­tait ma peur d’avoir mal qui me fai­sait mal.

J’avais déjà fait un tra­vail là-dessus en dis­cu­tant avec la part de moi qui gérait cette douleur, et ça l’avait soulagée, dans une cer­taine mesure. Mais par­fois, la douleur reve­nait…
Et c’é­tait le cas ici.

La douleur remon­tait et occu­pait toute ma jambe. C’é­tait hor­ri­ble ! Je voulais qu’elle parte, qu’elle me laisse tran­quille. Je me débat­tais intérieure­ment.

Et puis mon corps m’a tiré par la manche.
Métaphorique­ment, bien sûr.

Par son vis­age et ses gestes, il me dis­ait
“Eh oh, faut pas avoir peur du corps !
Regarde, je vais te mon­tr­er”

Il m’a pris par la main, et douce­ment il m’a fait bouger mes pieds, ma cheville et chaque mus­cle.
“Voilà, regarde, t’as pas à avoir peur, elle est là, on est là…
Tout va bien.”

Je ré-apprivoi­sais mon corps et je reve­nais habiter ma jambe, non pas par le men­tal, ce qui cau­sait ma douleur, mais par les sen­sa­tions. Je récupérais l’usage con­scient de ma jambe.

Peu à peu, je me suis apaisé, et la douleur a dis­paru.


3. La douceur

J’avais par­lé à ma psy de la séance d’ayahuas­ca à venir. Parce que je savais que ça allait être dur. Elle m’avait alors posé la ques­tion suiv­ante :
Com­ment est-ce que tu peux t’ap­porter de la douceur dans la douleur et la dif­fi­culté ?

Ques­tion intéres­sante. J’avais quelques idées.
D’abord, j’avais une cou­ette et un plaid. Et ça, c’é­tait roy­al.

Mais la peur dont je fai­sais part à ma psy venait surtout de la peur de vom­ir.
Parce que sous ayahuas­ca, tu vom­is. Beau­coup.

Bien sûr, comme tout le monde là-bas, j’avais mon seau à vomi. Dis donc, les normes changent vite selon le con­texte.
Mais je ne voulais pas vom­ir, j’en avais peur, et j’avais du mal à tra­vers­er les nausées.

Et puis finale­ment, j’ai vomi. Beau­coup.
C’est ce qu’on appelle la purge.

Selon la médecine ayahuas­ca, quand tu purges en vom­is­sant, tu purges des choses plus pro­fondes : des pen­sées dif­fi­ciles, des émo­tions, des trau­ma­tismes. L’ef­fet est plus durable que sur le moment : tu te net­toies pour en ressor­tir grandi·e.

Là où j’ai su trou­ver de la douceur, c’est par mon corps. Encore.

Même si je vom­is­sais et que c’é­tait hor­ri­ble, ce corps avec qui j’avais dis­cuté était là pour me ras­sur­er, pour pos­er une main récon­for­t­ante sur mon épaule, pour m’ac­com­pa­g­n­er avec douceur à tra­vers la douleur.

Et quand les nausées sont par­ties, mon corps est resté présent.
Je me suis enfoui dans ma cou­ette et mes plaids, enrobé de douceur, et je me suis fait un câlin : je me suis entouré le buste avec mes bras et j’ai posé ma tête sur mon épaule.

Je ne sais pas si tu t’es déjà fait un câlin comme ça.
Alors c’est sym­pa, et je con­seille, mais ce n’est pas non plus extra­or­di­naire. Il manque une cer­taine inter­ac­tion. Par rap­port à un câlin avec une autre per­son­ne, ça ne fait pas le poids.

Mais là ! Là !
C’é­tait dif­férent.

Je me ser­rais avec des petites pres­sions du bout des doigts comme je l’au­rais fait avec quelqu’un d’autre, et mon corps me répondait avec d’autres pres­sions, des vagues de chaleur et de la joie. Mon corps me fai­sait un câlin en retour.

Et comme j’é­tais mon corps et que mon corps était moi, il y avait une vraie sym­biose : je ressen­tais ce qu’il ressen­tait, et inverse­ment.

C’é­tait trop beau. Ça m’a ému.
J’é­tais en con­nex­ion avec moi-même.

C’est là que j’ai com­pris.
C’est ça de s’aimer.
C’est ça le self love :

Être présent à soi en s’ap­por­tant de la douceur, de l’amour et de la com­pas­sion.
Même quand ça va pas, même quand c’est dif­fi­cile.

Tous les autres par­tic­i­pants affir­maient que le chaman sen­tait leurs besoins et venait à eux quand ils avaient besoin de lui…
Ben moi pas du tout.
J’ai eu beau atten­dre, rien ne se pas­sait. J’é­tais seul, et je m’en­nuyais.

“Chaque sit­u­a­tion est par­faite comme elle est, et si elle ne te plait pas, tu peux essay­er de trou­ver la leçon que le monde cherche à t’en­seign­er.”

C’est ce qu’une par­tic­i­pante m’avait dit avant la ses­sion.

Alors j’ai fini par me dire que c’é­tait inten­tion­nel de la part de la réal­ité, de la plante ou du chaman.
Ma leçon, c’é­tait d’ap­pren­dre à me débrouiller tout seul.

À me don­ner l’amour et la con­nex­ion que je recher­chais.
À arrêter d’at­ten­dre de l’ex­térieur.
À me tourn­er vers l’in­térieur.

Parce que je me suff­is.

C’est le meilleur moyen de s’aider soi, et d’aider ensuite les autres depuis un plein de soi.

Sans m’en ren­dre compte, j’ai tra­vail­lé sur mon sché­ma exi­gences élevées et mon syn­drome du sauveur. L’ayahuas­ca n’a sim­ple­ment pas pris le chemin que j’avais imag­iné.

C’est l’heure de la céré­monie de clô­ture.


La limpia, l’offrande à la pachamama et les adieux

C’est la fin du week-end : on range nos affaires, on fait le ménage, on dis­cute encore un peu.
Je donne de l’é­coute et une présence récon­for­t­ante à une des par­tic­i­pantes qui a vécu une nuit hor­ri­ble. Elle était pos­sédée et ne con­tro­lait plus son corps. Waow.

Dernier cer­cle de parole. Cha­cun racon­te son expéri­ence. Je leur fais un résumé.

Ça y est, il est temps de clô­tur­er.

On va tous dehors pour la dernière céré­monie : la limpia. En espag­nol : le net­toy­age.

Je n’ai pas d’of­frande pour la terre mère, la pachama­ma, alors j’in­specte le sol dans l’e­spoir de trou­ver un trèfle à 4 feuilles. Ça m’ar­rive sou­vent de regarder et d’en trou­ver, d’où mon espoir.

Et là, je le vois : un trèfle à 5 feuilles.
Je le ramasse et je souris de cette jolie coïn­ci­dence.

On se place tous en cer­cle, côte à côte dans la brume.
Le chaman com­mence à jouer de l’har­mon­i­ca.
Puis il passe devant cha­cun d’en­tre nous en agi­tant sa chaka­pa sur notre poitrine pour nous débar­rass­er des esprits et éner­gies restantes.

Et sur ce son d’har­mon­i­ca, je nous con­tem­ple, et j’ai des fris­sons.

La limpia dans la brume après l'ayahuasca

Des fris­sons parce que ce qu’on vient de vivre tous ensem­ble était dingue, un sen­ti­ment d’ap­par­te­nance est né, on a for­mé des con­nex­ions fortes.

J’ai de la grat­i­tude pour tout ce qu’on a vécu ensem­ble.

De l’hu­mil­ité face à la magie qui se dégage de ce moment.

Et de la com­pas­sion pour mon esprit rationnel qui reste sans voix.

Dans ma main, je serre mon trèfle à 5 feuilles.

Pen­dant que le chaman passe devant les autres, je suis ému, et je lâche prise. Je ne con­trôle pas grand chose. Je suis tout petit dans le grand ordre des choses. Et ça m’a­paise. Je n’ai pas besoin de sauver le monde, juste de faire ma part.
Tran­quille­ment, à mon rythme.

Quand le chaman ter­mine la limpia, je reste silen­cieux. Médusé.
On monte alors par un petit chemin de terre pour aller dépos­er les offran­des à la pachama­ma.

Cha­cun a une fleur provenant d’un bou­quet ain­si que divers­es offran­des : des fruits, des noix, un quartz. On les dépose alors tour à tour dans la forêt. Je dépose mon trèfle en souri­ant.
C’est beau.

Offrande à la Pachamama après l'ayahuasca

On redescend, physique­ment mais pas métaphorique­ment pour le temps des adieux.
On se fait tous un câlin. C’est touchant.

Grosse sur­prise : une femme avec qui je sen­tais une grande ressem­blance alors qu’on avait à peine par­lé me dit
“J’ai beau­coup réson­né avec ce que tu as dit ce week-end, j’ai eu l’im­pres­sion de voir chez toi un moi plus jeune”.
Et bien je l’ai vu aus­si.

Je suis fasciné par tout ce qui est passé sans qu’on ait eu besoin de par­ler. Avec elle comme avec les autres.

Je dis au revoir à une autre femme qui me dit :

Tu sais, tu n’as pas besoin d’être par­fait. Tu es déjà par­fait.
Tout est par­fait, là, comme ça, comme c’est.

Ça m’a ému.
Tout est par­fait.

Comme me l’avait dit une amie chré­ti­enne juste avant le week-end :
Tout est accom­pli.

Le reste, c’est du bonus.

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Loïc

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